Comme un souffle,
Jean-François Mozziconacci
Des formats étranges, présentant des protubérances cornues
ou des blessures profondes, aux formats parfaits, ronds puis carrés,
Stéphane Braconnier est passé du chaos inquiet
à la plénitude assouvie et à la raison sereine.
Les touches, flammèches dansantes, hachées
et bousculées en ballet clignotant, se sont apaisées ;
rythmées elles se sont ordonnées,
multipliées elles se sont étouffées,
tissant un manteau de mille couleurs sourdes.
Les tondi noirs, ciels obscurs ou terres brûlées, piègent la lumière.
Les carrés blancs, plans hésitants du monde, restituent alors aveuglément cette lumière accumulée.
Le manteau s’est brusquement déchiré.

Les pigments, prisonniers de la cire blanche,
sont révélés par la chaleur des mains qui caressent lentement la toile.
Peau contre peau. Le temps qui passe modifie la lumière.
Et la lumière comme la chaleur — caresses jumelles — révèle la couleur.

Le temps coule d’une toile à l’autre.
Maintenant, demain, un jour,… Bientôt, souvent, parfois.
Elles sont le rythme de ce temps, les stations du voyage.
Les saisons se succèdent, nuances de lumière, de l’été à l’hiver,
de l’automne au printemps, de l’automne à l’été.
Lumière froide, lumière douce, brume bleue, voile rose.
Comme un souffle la lumière tremble.
La promenade de la main sur la toile réveille le souvenir des couleurs enfouies.
Le temps révèle la lumière.
La main dessine un jardin de souvenirs. Elle construit, en hauteur et en horizon perdus, les plans d’un labyrinthe subtil et secret, palais des disparitions et des retours, de Malévitch à Klein, de Manzoni à Robert Ryman, de Dan Flavin à Bruce Neuman. Violet, bleu, vert, jaune, rouge, rose, un arc-en-ciel blanc se déploie. Il apparaît, il disparaît, il réapparaît. Il est le rythme de la vie,
du jour et de la nuit, de l’élégance et de la vulgarité, du silence et du cri, de la vie de la mort. Il est l’élévation, la distance et le partage. Il est le refuge et le souvenir, la maison, la loge, la cachette, le jardin. Il est aussi la rupture et le renvoi à la solitude, le miroir.
Dans le jardin silencieux et recueilli, les dalles de la chambre gardent le souvenir de cet ange qui est venu annoncer et de cette vierge surprise qui s’est reculée et qui a baissé les yeux. Souvenir de Lippi ou de Botticelli, du Perugin ou de Léonard, dans le jardin flotte le souffle de l’esprit et résonnent les battements des ailes de l’ange messager.
Jean-François Mozziconacci