Celui de Polichinelle,
1984
Huile encaustique collage d’éponge sur toile
290 x 371 cm
Collection du Centre Pompidou
© Service de la documentation photographique du MNAM – Centre Pompidou,
MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris
Le vrai sens
d’un retour
à la peinture,
J-P. Bordaz
La composition, qui s’établissait précédemment à partir de la construction du châssis,
est désormais traitée dans une perspective d’ensemble,
selon l’espace modèle de la couleur.
Le tableau, sujet à des recouvrements superposés,
affirme un espace illusionniste,
occupé par des embryons d’éléments organisés ou désordonnés,
par des amas de matières colorées dont l’existence semble fragile.
Le châssis, bien que construit à l’extrême par un astucieux travail de menuisier,
ne se perçoit plus comme une structure indépendante.
Recouvert à l’excès par la couleur,
sa forme et ses directions semblent occultées.
Les couleurs à la limite des couleurs,
le recouvrement à la limite du recouvrement, ont une existence autonome
Que devient alors ce travail sur la composition dont nous parlions il y a tout juste deux ans !
Les couleurs dans ses oeuvres créent des flux et des distorsions.
Elles trouvent des prolongements sur les bords du châssis et vers le bas.
Comme si le peintre figurait ce trop-plein de couleur à la manière d’un artiste expressionniste comme Baselitz,
qui conçoit la peinture dans ses retournements extrêmes,
en imposant un immense dévidement de matières vers le bas.
Ultima Forsan
1986
250 x 250 cm
Collection du Musée de Toulon
Paradoxalement de tels débordements de couleurs chez Braconnier
ne proviennent que d’un travail patient et réfléchi.
Dans leur propre mise en scène, les couleurs créent de nombreux espaces.
Elles produisent un effet d’accélération qui rend
l’oeuvre plus construite, moins iconoclaste qu’auparavant.
À la place du recouvrement autrefois arbitraire
qui tendait à faire disparaître toute intention figurative,
Stéphane Braconnier fait naître des signes et d’imparfaites figures
à travers de nombreuses superpositions de couleurs et d’amas de matières. Dans ce « barbouillage » volontaire,
qui semble de nouveau rendre hommage aux peintures à l’encaustique de Jasper Johns,
naissent des signes plus reconnaissables,
même occultés par le trop-plein de couleurs.
Les vérités sont multiples, ambivalentes :
les titres des oeuvres énoncent aussi des revendications spirituelles
qui vont au-delà des signes.
Leur message est contradictoire.
.
La ronde de nuit
1984
225 x 130 cm
Collection particulière
Les riches incohérences de l’ornement de ces peintures
faites de nombreuses superpositions, de nombreuses surcharges,
paraissent attirer les contraires.
Parce que peintes à l’excès, elles sont dans un état mixte.
Le solide, le palpable, c’est cet « objet », ce châssis occulté,
en forme de décor qui se donne à voir,
embelli par les couleurs ; tandis que la couleur,
dans son éblouissement et son illumination,
forme une grammaire ornementale.
Sans titre
1986
160 x 220 cm
Collection particulière
Comme tout art abstrait,
c’est-à-dire comme toute expression volée/violée
à la réalité, la question du contenu se pose.
Autant d’effets de juxtapositions et d’assemblages incongrus
au sein de la surface et au-delà,
sont porteurs de riches incohérences dans un esprit baroque.
Comme l’écrit Severo Sarduy,
la constante tentation de l’art baroque
serait de réaliser un art « monstrueux »,
justement disloqué et attirant les contraires.
Dans cet art s’imposerait alors, écrit Sarduy
« la rencontre illogique de deux figures possibles mais contradictoires ».
Faut-il voir dans le travail de Stéphane Braconnier
une volonté de laisser au hasard mener le jeu ?
Peu enclin à user des recettes et des techniques
d’une « écriture automatique » partiellement obsolète,
l’artiste paraît tenter aujourd’hui de transgresser
les lois trop convenues du formalisme,
en se rapprochant de l’ornement et de sa riche incohérence.
Ces oeuvres « furieusement peintes »
en tant qu’ornements et décors possibles,
sont aussi le fruit d’intentions primitives et de pulsions profondes.
Jean-Pierre Bordaz
Février 1986